Notre cohésion sociale repose sur ce qu’on voudra faire du collège dans les années à venir.
Tribune de Johanna Legru, Déléguée Générale d’Alliance pour l’éducation – United Way dans le Monde « Notre cohésion sociale repose sur ce qu’on voudra faire du collège dans les années à venir. »
16 mai 2023
👉 Lien vers la Tribune sur Le Monde.
Johanna Legru, déléguée générale du collectif Alliance pour l’éducation, appelle, dans une tribune au « Monde », à des actions urgentes sur le collège, notamment en éducation prioritaire, pour permettre de « changer en profondeur l’image que [s’en] font les familles ».
Parvenir à une vraie mixité sociale dans nos collèges n’est pas qu’une affaire d’Etat et les mesures annoncées par notre ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, si elles vont sans conteste dans la bonne direction, ne suffiront malheureusement pas à éradiquer la dérive ségrégationniste qui gangrène notre système scolaire.
Le collège est aujourd’hui le symbole de notre ombre collective. Il condense tous les paradoxes de notre vivre-ensemble et le décalage entre nos paroles et nos actes, aussi bien à travers nos stratégies familiales que nos politiques publiques. C’est aussi au collège que le déterminisme social a l’impact le plus fort, car c’est le moment où les jeunes font leurs choix d’avenir en se basant sur leur environnement immédiat. C’est donc par lui qu’il nous faut commencer et c’est de lui que peut venir une partie de la solution.
Or imposer la mixité par la contrainte ne suffira pas. Difficile à mettre en œuvre dans les collèges des réseaux d’éducation prioritaire (REP) qui sont ceux où les difficultés sociales sont les plus marquées, et dont les problématiques sont bien souvent celles des quartiers, cette mixité sera quoi qu’il en soit insuffisante pour garantir un réel impact – sachant que ça n’est qu’à partir de 30 % de représentativité qu’un groupe a une influence systémique.
Des solutions déjà mises en œuvre
Plus que de forcer la mixité, c’est sur l’attractivité de nos collèges de REP et REP+ qu’il faut travailler pour changer en profondeur l’image que se font les familles, et plus largement la société, de la scolarité dans ces zones prioritaires. Il est urgent de redorer leur blason en proposant un accompagnement spécifique pendant toute la durée de la scolarité des élèves, complémentaire aux apprentissages scolaires, en adéquation avec les attentes du monde professionnel.
Les familles, quelle que soit leur origine sociale, doivent être convaincues que leurs enfants sortiront de leur parcours dans ces collèges avec des compétences essentielles pour leur avenir dans un contexte de grande adaptabilité face aux différentes crises auxquelles nous sommes confrontés. La priorité est aussi de redonner l’envie aux parents de faire le pari de la diversité et de l’inclusion en appréhendant la mixité de niveaux et d’expériences comme une richesse réciproque, plutôt que de développer des stratégies d’évitement.
Ces solutions pour lutter contre la ségrégation sociale dans l’éducation existent et ont déjà commencé à être mises en œuvre. Elles reposent sur des alliances entre toutes les parties prenantes du territoire. Depuis des années, associations, acteurs publics, entreprises se battent déjà pour changer le destin des collégiens en les aidant à trouver leur voie et leur juste place dans la société grâce à des programmes volontaristes, basés sur l’impact collectif.
Ne pas craindre la diversité
Engager l’écosystème territorial par la mobilisation coordonnée de toutes les forces sur un territoire – élus locaux, associations, entreprises et familles – permet déjà d’améliorer le climat des établissements, de lutter contre le décrochage scolaire, qui prive chaque année notre pays de talents et entraîne un coût économique et social inacceptable.
L’urgence est réelle. C’est une véritable révolution systémique qu’il nous faut entreprendre. Le risque que nous prenons à ne pas le faire est celui de la fracturation de notre société. Mais il est aussi celui de notre déclassement en tant que nation, alors que nos modèles économiques sont de plus en plus ouverts et concurrentiels, car le manque de mixité ne permet pas de développer notre capacité d’innovation, d’adaptation, d’entraide et de résilience, des qualités pourtant essentielles dans notre monde en proie aux crises et pour une jeunesse en quête de sens.
Les compétences de demain ne seraient-elles pas surreprésentées chez les jeunes de quartiers défavorisés ? Ces compétences doivent être mieux reconnues dans les établissements secondaires, mais aussi valorisées dans l’enseignement supérieur et les entreprises, car c’est à cette condition seulement que nous dissiperons les craintes des parents et encouragerons les élus locaux de généraliser des pilotes qui se sont avérés des succès mais dont l’extension se heurte aux craintes de perte de niveau.
Il nous faut agir vite pour construire une société où la diversité est recherchée et non pas crainte, où aider son voisin à s’accomplir et viser plutôt la réussite collective que la réussite individuelle est autant valorisé, sinon mieux, que la réussite individuelle. Il n’est pas pensable qu’une partie de notre jeunesse soit vouée à l’échec parce que nous n’avons pas su croire en elle. Il n’est pas pensable que l’entre-soi soit la norme et la rencontre l’exception. Notre cohésion sociale repose sur ce qu’on voudra faire du collège dans les années à venir.
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